L’oeuvre censurée de Marie Morel
L’oeuvre censurée de Marie Morel
Pourquoi ce souvenir propre à nous tous est-il mortifiant alors
que son vestige, pour chacun d’entre nous, est ce corps, cet unique
corps que la vie nous dispense, que nous soignons autant qu’il est
possible, que nous choyons plus que tout autre corps : notre corps ?
Notre plus intime abri ? Notre forme étrange ? Notre maison de chair,
de crinière, de griffes et de peaux, aux fenêtres de douceurs ?
Pourquoi cette intime tendresse se transforme-t-elle en flagrant
délit, puis en désapprobation, en délinquance, en épouvante, en
culpabilité, en péché ?
Pourquoi cette mémoire est-elle dévaluée par l’apprentissage
de la propreté individuelle puis dénigrée par la morale commune ?
Pourquoi cette commémoration est-elle pourchassée par la religion
et ses recommandations rituelles ? Pourquoi sa manifestation est elle
incriminée par la société entière et pour ainsi dire unanime ?
Pourquoi la reproduction de cette représentation est-elle
prohibée par les lois que les différentes communautés et nations et
continents édictent ?
Alors qu’il faudrait dire merci, nous nous voilons la face. Nous
nous voilons le corps, le ventre, le torse, les deux fesses. Nous nous
faisons un devoir de ne plus en dévoiler les vestiges devenus plus
pâles, ni la relique génitale, ni le reflet, ni l’ombre, ni même l’image.
Pascal Quignard « Les deux offenses » (extrait du texte)
L’oeuvre censurée de Marie Morel, 2019
196 pages couleurs, format 30 x 33 cm, traduction anglaise
parution décembre 2019
ISBN : 978-2-919756-32-2 Éditions Regard-J’en suis bleue